Ingénierie des connaissances
La gestion des connaissances a donné lieu à une longue tradition de création d’artefacts plus ou moins complexes, plus ou moins techniques, et plus ou moins automatisés. Ils avaient pour ambition de supporter capitalisation, représentation, diffusion, et pérennisation d’une représentation des connaissances. Cette tradition trouve, pour partie, ses origines dans le domaine de l’intelligence artificielle , l’archétype étant le développement des systèmes expert [1].
Des systèmes experts à l’orientation dans les supports numériques
Les systèmes experts étaient définis comme visant à « à piéger la connaissances naturelle détenue par des experts humains sous la forme la plus proche de son expression par l’expert ; celle-ci captée, on pourra imiter les raisonnements de certains individus pour résoudre informatiquement certains problèmes » [1]. Le point de vue qui prévalait ici était la conception d’un système qui simulerait le « raisonnement de l’expert », la problématique étant de définir le bon niveau d’expression et la forme de représentation adéquate, pour la connaissance. Le bon niveau d’expression et la bonne forme sont en grande partie liés aux possibilités d’un moteur d’inférence : les connaissances modélisées doivent être manipulables par celui-ci. Les limites de ce type d’approche sont aujourd’hui connues notamment parce qu’elles appréhendait la connaissance comme un objet formalisable dans un cadre théorique et implémentable permettant notamment d’intégrer des mécanismes d’inférence [2][3]. Les systèmes étaient basés sur une logique calculatoire, la limite étant nécessairement que tout résultat quantitatif, aussi pertinent soit il, ne peut faire l’économie d’une interprétation : le résultat d’un calcul renvoie à la démonstration et doit, lors de sa diffusion, faire l’objet d’une explication, c’est à dire une argumentation.
A la suite de ces travaux plutôt centrés sur la résolution automatique de problèmes, on a pu observer une évolution vers des approches majoritairement centrées sur l’assistance utilisateur. Le système expert n’était plus un expert omniscient mais un assistant coopératif « intelligent » [4]. Ce positionnement a notamment guidé les travaux de recherche en explication [5][6]. Le système ne renvoie plus à un résultat mais argumente celui-ci afin de préciser « le pourquoi et le comment » [7]. On ne se situe plus dans la démonstration, mais dans l’argumentation, l’outil de simulation informatique devenant outil d’aide à la résolution de problème. Le résultat n’est plus une vérité instituée, car il n’est plus toujours considéré comme efficace, mais pourra être accompagné de traces d’exécution de l’outil devant expliciter le résultat ou encore de connaissances complémentaires extérieures au système. Le résultat peut être soumis à la négociation sous la forme d’une interaction entre utilisateur et machine [8][6].
Ceci nous amène à une vue alternative à l’IA telle qu’elle a pu être fondée initialement. Ce positionnement également défendus dans le cadre des conférences Cooperative System Design (COOP) se centrait sur le développement de systèmes permettant une forme de « coopération » entre le système et l’utilisateur. Les approches sont alors d’avantage inspirées du Computer Supported Cooperative Work (CSCW) [9][10][11] et des Sciences de l’Information. Il ne s’agit plus de se focaliser exclusivement sur un niveau d’expression propice à une manipulation par la machine, mais bien de remettre en avant la dimension sociale et la dimension organisationnelle. Ce point de vue privilégie la diffusion, l’appropriation et le partage d’une représentation des connaissances. Les mémoires d’entreprises constituent un exemple produit avec cette philosophie. Le point de vue est bien celui d’un support à l’activité même si le but des mémoires d’entreprise peut également être présenté comme devant fournir « la bonne connaissance ou information, à la bonne personne, au bon moment et au bon niveau » pour permettre la décision [12]. L’aspect support à la décision apparait ici, de même que la problématique de recherche d’information qui devient de plus en complexe du fait de la profusion des supports numériques.
L’ingénierie des connaissances s’appuie donc à la fois largement sur les techniques d’IA (Boughzala 2001) mais également sur des champs disciplinaires plus proches des sciences humaines et sociales. Elle vient en prolongement de la gestion des connaissances telle que définie précédemment et peut être présentée comme « une manière plus sophistiquée que la transcription des connaissances pour capter une parcelle de connaissances tacites » (Boughzala et Ermine 2003).
Cette « manière plus sophistiquée » correspond à la conception et au développement d’instruments et d’outils pouvant à la fois supporter la gestion des connaissances, mais également faire face à la prolifération et à l’expansion de plus en plus grande de l’information numérique. En ce sens, l’Ingénierie des Connaissances doit « faciliter l’explicitation de connaissances tacites possédées par des informateurs particuliers, les experts, ou déposées dans des supports informationnels de manière implicite, des textes ou des bases de données de divers formats » (Zacklad 2000). Cette définition intègre non seulement la dimension humaine de la gestion des connaissances relative au fait que les connaissances sont dispersées au travers d’individus ; la psychologie, l’ergonomie, la sociologie ou encore l’IA ont largement étudié cet aspect pour tenter d’acquérir, de capitaliser, une représentation de ces connaissances dispersées (Charlet 2003). Elle intègre également la dimension technique de la gestion des connaissances et l’enjeu crucial des supports informationnels, qu’ils soient papier ou numérique, dont le volume est en constante croissance.
Ainsi, l’objectif de l’ingénierie des connaissances est « de concevoir des instruments et outils de la connaissance s’intégrant au travail intellectuel, qu’il soit individuel ou collectif, cognitif ou social » (Bachimont 2004). Bachimont pose d’emblée que « le problème posé par une telle discipline est la diversité des savoirs qu’elle doit mobiliser, et l’étendue de ses objets d’étude: toute l’activité humaine est en effet potentiellement concernée par un tel programme » (Bachimont 2004). Le champ d’exploration est donc immense, aussi nous nous focaliserons sur un aspect : l’étude portée dans ce rapport s’intéresse en particulier aux informations numériques pouvant être valorisées ou résultant des activités de gestion des connaissances. Il s’agit tout aussi bien de s’attarder sur les modalités de création de ces ressources informationnelles que sur la valorisation de l’existant. Au-delà, de nombreux fonds documentaires non numérisés, ou dont la numérisation se limite à un plan de classification et à une description des documents selon des attributs standards, les ressources numériques sont extrêmement importantes en volume. Dans la section suivante, nous proposons de nous attarder sur ces supports numériques.
L’avènement des supports numériques
Les supports numériques d’information envahissent de plus en plus nos pratiques. Nous sommes en permanence confrontés à des documents, des interfaces, des systèmes et des bases de données que nous consultons ou pour lesquelles nous sommes fournisseurs d’information. Le point de départ de nombre d’activités est ainsi d’identifier et de réunir les informations pour ensuite les analyser, les traiter et les valoriser. Il s’agit de les croiser, de les mettre en relation, de les comparer, etc… La difficulté première est à la fois le fait que l’on a pas toujours connaissance des informations nécessaires à la tâche, ni de celles disponibles. De plus, il peut être difficile de s’orienter dans un grand volume d’information. Ainsi, Bachimont introduit l’Ingénierie des connaissances comme un moyen de « pallier à la désorientation induite par l’avènement des supports numériques » (Bachimont 2004). Nous allons évoquer ici successivement trois formes d’informations couramment portées sur des supports numériques :
- Les documents
- Les données structurées
- Les systèmes informatiques
Les documents
Le document est abordé ici sans en préciser une réelle définition, qui sera introduite dans la revue de littérature. Nous traitons ici de tout type de documents, qu’il soit numérique ou papier. En premier lieu, précisons que de nos jours quasiment tout document même si il est diffusé sur papier prend une forme numérique à un instant donné (Crosnier 2005). Dans les entreprises, les auteurs de documents se sont profondément diversifiés puisque le déploiement de la micro-informatique à tous les personnels a profondément changé, par exemple, le travail des secrétaires qui supportent majoritairement les activités de gestion, plutôt qu’une tâche de claviste par exemple. Tout le personnel est devenu potentiellement auteur de documents qui transitent de plus en plus vite dans l’entreprise au travers des systèmes d’information. L’intégration de systèmes de gestion électronique de documents appuyés par les technologies Lotus notes ou maintenant XML (eXtended Markup Language) associées au processus qualité de gestion de projet tend à en augmenter la production. Rapports d’Etude, Cahiers des charges ou encore Compte-Rendu de réunions médiatisent une image de l’évolution et l’avancement des projets, visualisable dans les systèmes de gestion électronique de documents (GED), à mesure de leur changement de statut (en cours de rédaction, pré-diffusion, diffusion).
Le déploiement de l’informatique bureautique introduit ainsi une facilité dans la production de document. Elle est également liée à l’appropriation des logiciels Wysiwyg[1] (« What you see is what you get ») et en premier lieu à l’avènement des traitements de texte tel que Microsoft Word. Tout un chacun est ainsi en mesure de produire un document avec un rendu, ce qui était autrefois réservé aux professionnels de l’édition. Les éditeurs de document permettent ainsi d’associer différentes modalités de représentation (graphique, textuelle). Chacun peut produire ses documents, de façon autonome, selon ses préférences. De plus, on assiste à un vaste usage du « copier – coller » qui permet à la suite de quelques manipulations de fusionner, reconstruire, recomposer le document à souhait.
Données structurées
Nous définissons les données structurées comme un ensemble de symboles qui sont organisés logiquement selon des règles particulières, identifiables et uniformes pour un même jeu de données. Les fichiers textes délimités (CSV : Comma-separated values) constituent un exemple caractéristique. Ils représentent des données tabulaires dont on peut voir une illustration en Figure 2. Ce type de fichier se compose le plus souvent d’une première ligne qui identifie (indexe) les données présente sur les lignes suivantes. Chaque donnée est alors délimitée par un caractère spécifiant le passage sur une ligne du fichier, d’une donnée à une autre. Les caractères exploités sont classiquement l’espace, la tabulation ou encore le point-virgule.
Sexe, Prénom, Année de naissance
M,Alphonse,1932 F,Béatrice,1964 F,Charlotte,1970 |
|
La structuration logique des fichiers CSV est devenue d’un usage courant, ce qui en fait un outil intégré à de nombreuses pratiques. En particulier, le CSV supportent les fonctions d’importation et d’exportation de données facilitant ainsi l’échange et la migration d’importants volumes de données entre systèmes informatiques. Au regard de l’échange de données et dans un contexte industriel, ce type de format est largement exploité dans le cadre de la remontée de données de mesure par exemple. Ceci s’explique par le fait que même des équipements de « bas niveau », avec une électronique peu complexe, peuvent enregistrer les données dans ce type de format simple. Une difficulté au regard de ce format reste que la structuration des données est limitée à deux dimensions. De plus, la définition de l’organisation tabulaire peut varier si une norme ou des conventions ne sont pas mises en place.
Les données formatées en XML (eXtended Markup Language) représentent une alternative au format CSV. Il s’agit d’un langage informatique de balisage basé sur une simplification de la norme SGML (Standard Generalized Markup Language). Ce langage, dont on peut voir un aperçu sur la figure suivante, est de plus en plus exploité. Il permet à la fois d’identifier les informations contenues dans un fichier par un balisage prenant la forme « <nom_balise> ». Ces balises peuvent être imbriquées de manière arborescente permettant de structurer l’information sur plusieurs niveaux.
<?xml version="1.0" encoding="UTF-8"?>
<élément-document xmlns="http://exemple.org/" xml:lang=";fr">
<élément>Texte</élément>
<élément>élément répété</élément>
<élément>
<élément>Hiérarchie récursive</élément>
</élément>
<élément>Texte avec <élément>élément</élément> mêlé</élément>
<élément/>
<élément attribut="valeur"></élément>
</élément-document>
L’eXtended Markup Language se veut un format générique et véhicule avec lui un ensemble d’outils qui permettent de manipuler les contenus structurés indépendamment de leur origine et de valider leur bonne structuration en s’appuyant sur des modèles de documents. L’XML s’impose de plus en plus comme le format dédié à l’échange de données informatisées (EDI). Cela est à la fois dû à sa grande souplesse mais également au fait qu’il constitue un standard accompagné d’un ensemble d’outils permettant de facilement le manipuler. Une forme d’utilisation de ce standard correspond aux flux RSS présenté ci-après. Il s’agit de flux de données structurées qui peuvent être lues de manière standard par des applications telles qu’un navigateur web ou un lecteur spécialisé. Ces flux sont de plus en plus répandus avec le développement du Web 2.0 car ils sont exploités dans les mécanismes de syndication[2].
<rss version="2.0">
<channel>
<title>Mon site</title>
<description>Ceci est un exemple de flux RSS</description>
<lastBuildDate>Wed, 27 Jul 2005 00:30:30 -0700</lastBuildDate>
<link>http://www.example.org</link>
<item>
<title>Actualité N°1</title>
<description>Ceci est ma première actualité</description>
<pubDate>Mon, 25 Jul 2005 00:30:30 -0700</pubDate>
<link>http://www.example.org/actu1</link>
</item>
<item>
<title>Actualité N°2</title>
<description>Ceci est ma deuxième actualité</description>
<pubDate>Tue, 19 Jul 2005 04:32:51 -0700</pubDate>
<link>http://www.example.org/actu2</link>
</item>
</channel>
</rss>
Systèmes informatiques
Les systèmes informatiques dans leur globalité peuvent être vus comme une forme d’information à part entière. Bien évidemment ces systèmes s’appuient sur des données structurées telles que nous venons de l’évoquer. On peut d’ailleurs citer les systèmes de gestion de base de données qui constituent des systèmes dédiés à l’organisation de données à la fois très structurées et très typées. Cette organisation est le plus souvent régie par un modèle relationnel correspondant à une réelle grille de lecture de la base. Nous pensons mettre l’accent sur deux autres formes d’information contenues dans les systèmes informatiques :
- Les algorithmes
- Les interfaces homme machine
Tout d’abord, « un algorithme est un moyen pour un humain de présenter la résolution par calcul, d’un problème à une autre personne physique (un autre humain) ou virtuelle (un calculateur) » [13]. La définition permet dans les systèmes informatiques de programmer la logique de traitement sur les données sous la forme d’un langage de programmation. Les algorithmes constituent donc une forme de représentation d’information essentielle puisque à l’heure où les supports numériques se multiplient, de même que les traitements numériques de leur contenu, ils prennent une importance énorme. Ils véhiculent un processus de calcul pouvant être appréhendé comme une opération de réécriture des données selon une logique et des intentions particulières. L’algorithme est souvent dilué dans le code source ce qui en fait une information qui n’est pas nécessairement explicite : le fonctionnement du système, la logique de calcul, reste alors tacite pour les utilisateurs.
Les interfaces homme machine, quant à elles, représentent le pont entre l’utilisateur et le système informatique. Elles permettent d’offrir une visualisation des données abstraites contenues en mémoire (sur les supports numériques) et d’interagir avec elles. L’interface va donc traduire les données en mémoire sous une forme d’inscription qui lui est propre. Au-delà de cette forme de représentation, elle véhicule à l’image de l’algorithme une intention. Sa construction, par exemple l’organisation des données qu’elle permet de visualiser, contient une part d’information qui une fois encore n’est pas toujours explicite.
Les produits de l’ingénierie des connaissances
Si l’ingénierie des connaissances tente de pallier la désorientation dans les supports numériques tout en valorisant au mieux les informations, elle constitue également une activité qui produit de nouvelles ressources informationnelles. Nous considérons trois types de ressources produites:
- Des documents,
- Des systèmes à base de connaissances,
- Des systèmes d’organisation de connaissances.
Des documents
Le document est un vecteur de diffusion de l’information omniprésent dans les activités humaines et en particulier celles des « travailleurs du savoir » (« knowledge workers », Peter Drucker dans (Alberts et Bertrand-Gastaldy 2006)). L’activité des travailleurs du savoir est caractérisée par le fait que la tâche intellectuelle domine sur le travail manuel (Alberts et Bertrand-Gastaldy 2006). Lorsque nous évoquons le document ici, il s’agit d’un document écrit pouvant également contenir d’autres modalités d’information telles que, par exemple, des schémas ou des photos. Sa numérisation a ouvert un vaste champ de possibilités le rendant interactif et dynamique : il peut alors contenir animation, sons et vidéos. Les livres de connaissances (Ermine 2003) peuvent se matérialiser sous la forme de documents tout comme les mémoires d’entreprise ou encore les mémoires de projet.
Les mémoires de projet (Matta 2004) sont développées pour conserver une trace des connaissances dans les processus de conception afin de pouvoir être réinvesties, par exemple. Les mémoires d’entreprise (Grunstein et Barthès 1996) sont introduites comme une « représentation explicite pertinente et désincarnée, des connaissances et informations dans une organisation ». Une mémoire d’entreprise a pour objet de fournir « la bonne connaissance ou informations, à la bonne personne, au bon moment et au bon niveau » pour permettre la prise de décision (Grunstein et Barthès 1996). Notons que cet objectif peut également faire référence au développement des systèmes d’aide à la décision et donc aux systèmes à base de connaissances que nous aborderons par la suite. Dans une vision moins formelle, « le but d'une construction de mémoire d'entreprise est moins ambitieux qu'un système expert, au lieu de viser la résolution automatique pour une tâche (avec des capacités automatiques de raisonnement ), une mémoire d'entreprise doit plutôt aider l'utilisateur, en lui fournissant des informations appropriées de l'entreprise, mais en lui laissant la responsabilité d'une interprétation et d'une évaluation contextuelle de ces informations ». Kühn et Abecker (1997) cité dans (Dieng-Kuntz et al. 2001).
Si dans cette citation le but est évoqué comme moins ambitieux qu’un système expert, il convient tout de même de construire les mémoires d’entreprises ou plus généralement ce que nous nommerons des documents de capitalisation de connaissances avec précaution. En effet, ces documents revêtent une importance cruciale dans les entreprises puisqu’ils tendent à devenir, si ce n’est des documents de référence, des points d’accès à de nombreuses informations. Dans ce cas, ils peuvent prendre la fonction de guide de lecture permettant d’éviter la désorientation évoquée par Bachimont. Aussi, convient il de s’attacher à ce que leur construction sur la forme et le fond accompagne le lecteur vers une interprétation des informations proches de celle de l’auteur. La sémantique des informations qui y sont portées doit alors y être précisée.
Systèmes à base de connaissances
Les systèmes à base de connaissance peuvent être vus comme une évolution des systèmes experts. Si les systèmes experts se fondaient sur le développement d’une représentation du savoir expert sous une forme permettant d’être valorisée au travers d’un système d’inférence, les systèmes à base de connaissances ne font pas une référence exclusive à ce type de savoirs experts formalisés. Il ne s’agit plus uniquement de développer des systèmes à base de règles avec les limites que l’on connaît mais également de mettre à profit d’autres source d’information. Ces informations peuvent tout aussi bien être des documents, que des bases de données ou encore des sources de données moins structurées. Ainsi, la problématique du développement des systèmes à base de connaissance s’est élargie pouvant tout aussi bien soutenir le développement des hypertextes comme une aide à la navigation par exemple, au raisonnement à base de cas ou encore être investis dans le développement de systèmes coopératifs. Une illustration renvoie à l’analyse d’informations relatives aux compétences d’employés ainsi qu’aux projets auxquels ils ont participé pour favoriser l’entraide en entreprise (Delalonde 2007).
Le fonctionnement d’un système à base de connaissances reste toutefois centré sur l’analyse d’une représentation de connaissances par un algorithme traduisant une stratégie d’exploitation des données. De là, les systèmes à base de connaissances peuvent être vus comme « des systèmes sémiotiques de manipulation d’inscriptions symboliques, dont le fonctionnement informatique doit permettre à un utilisateur d’interpréter et de comprendre le système dans le cadre de son activité et de ses usages, en utilisant les termes du domaine » (Charlet & Bachimont, 1998). Dans cette définition, comme pour les documents évoqués précédemment, les notions d’interprétation et de compréhension de la part de l’utilisateur sont évoquées. Là encore, le développement des systèmes à base de connaissances et notamment de leur surface visible à l’utilisateur (ie. leurs interfaces homme machine), doit s’attacher à bien véhiculer la sémantique des informations proposées afin que l’interprétation faite par l’utilisateur ne soit pas erronée.
Les systèmes d’organisation de connaissances
Les systèmes d’organisation de connaissances se différencient des systèmes à base de connaissances au sens où ils ne se focalisent pas sur l’analyse et le traitement d’une représentation de connaissances. Il s’agit plutôt d’apporter une solution à la problématique de désorientation dans un espace informationnel. C’est notamment le champ disciplinaire des sciences de l’information qui dans le cadre de la gestion des livres et des documents a conçu de nombreux instruments de ce type. Les classifications bibliographiques (ex : la classification décimale de Dewey (Béthery 2005)) pour les ouvrages en bibliothèque, ou encore les plans de classement (Mas 2004) pour les documents administratifs en sont des exemples. Ces systèmes d’organisation offrent un appui à la recherche documentaire rejoignant les objectifs des documents et des systèmes à base de connaissances évoquées précédemment. La différence est que la démarche, le processus de recherche, est centré sur l’individu. Ainsi, les systèmes d’organisation de connaissances sont un accompagnement dans la réalisation de la tâche, sans avoir l’ambition de fournir instantanément le bon résultat. Ils s’ancrent dans le domaine de la recherche ouverte d’information (L’Hédi Zaher et al. 2007).
Dans le cadre de la recherche d’information, on peut également citer d’autres systèmes d’organisation de connaissances. Tout d’abord, les taxonomies qui proposent une organisation hiérarchique d’un vocabulaire contrôlé. La notion de vocabulaire contrôlé renvoie à la définition d’un ensemble de termes définis par un groupe, une communauté, appartenant, par exemple, à un même domaine de compétence. L’organisation hiérarchique introduite par la taxonomie permet, le plus souvent, de définir une spécialisation entre les termes (cf. figure suivante). Les thesaurus correspondent à une évolution des taxonomies car ils ne se contentent pas d’offrir la spécialisation entre les termes mais permettent également de spécifier des informations connexes à chaque élément qui constitue la taxonomie. Ils sont largement utilisés en recherche d’informations permettant d’accompagner un utilisateur dans la construction de ses requêtes face à un moteur de recherche. Enfin, nous évoquerons les réseaux sémantiques ou graphes de concepts qui correspondent à des graphes étiquetés de concepts introduisant des relations de catégorisation (relation « is a ») ainsi que des relations méronymiques (relation « part-of ») spécifiant la composition (relation partie-tout) (Un exemple est le lexidiom proposé par la société MEMODATA spécialisé en traitement automatique du langage - http://www.memodata.com/ ). La structuration des concepts dépasse ici la hiérarchie, impliquant que les réseaux sémantique ne répondent plus totalement, ou plus difficilement, à certaines propriétés formelles : leur exploitation par la machine est alors plus complexe. Les propriétés formelles demeurent une valeur recherchée dans le développement de systèmes d’organisation de connaissances expliquant notamment l’engouement pour le développement des ontologies formelles.
Même si le terme à largement été mis en avant ces dernières années en informatique, l’ontologie est une notion qui vient de la philosophie. « En informatique et en science de l'information, une ontologie est un ensemble structuré de concepts permettant de donner un sens aux informations. Elle est aussi un modèle de données qui représente un ensemble de concepts dans un domaine et les rapports entre ces concepts. Elle est employée pour raisonner au sujet des objets dans ce domaine. » (Wikipedia). Les concepts sont ainsi organisés les uns par rapport aux autres via des relations de sémantique, des relations de composition et des relations d’héritage (cf. figure suivante).
Nous avons pu assister à un développement important des ontologies formelles et de technologies les supportant avec le mouvement lié au Web Sémantique (Berneers-Lee et al. 2001). Ces ontologies permettent, par exemple, de structurer les concepts et la terminologie, mais dans un domaine particulier. Elles sont majoritairement construites en s’appuyant sur des experts. Leur développement peut être rapproché de celui des systèmes experts. Elles sont d’ailleurs adaptées pour l’inférence et le raisonnement, permettant, par exemple, d’assister un moteur de recherche. En ce sens, elles ne représentent pas nécessairement des systèmes d’organisation de connaissances, se rapprochant parfois plutôt des objectifs des systèmes à base de connaissances dans leur mise en œuvre à l’issue de leur construction.
Une alternative aux ontologies que nous avons qualifiée de formelle correspond aux ontologies sémiotiques (Zacklad 2005). Ces ontologies s’inscrivent dans le développement du Web socio sémantique complémentaire du Web sémantique. Le Web sémantique « met principalement l’accent sur la définition « d’ontologies formelles » (universelles et totalement standardisées) » (Zacklad 2005b). Pour sa part le Web Socio Sémantique « vise à fournir des bases de codifications malléables et adaptées aux besoins évolutifs des communautés d’utilisateurs locales » (Zacklad 2005b). Ce type d’ontologie doit permettre de mettre « en relation interprétative à la fois les concepts sémiotiques et les situations qu’ils « dénotent » et les « connotations » mutuelles des concepts sémiotiques entre eux dans une logique multi points de vue ». (Zacklad et al. 2003). Ainsi, la mise en relation des concepts sémiotiques avec les situations qu’ils dénotent est rendu possible par l’accès direct, via les concepts, à des documents qui les expliquent. Les connotations mutuelles s’expriment par des annotations portées par les multiples auteurs engagés dans le développement de l’ontologie sémiotique (Lortal et al. 2007; Zacklad 2007). Ce type d’ontologie résulte d’un processus d’indexation sociale, l’indexation étant une activité de repérage et d’identification d’information. Elle est sociale puisque, dans le contexte du Web socio sémantique, elle est pratiquée collectivement, sans être centrée sur une autorité (une institution ou un expert bien défini), ce qui la rapproche des folksonomies (Ertzscheid 2006).
[1] Les logiciels Wywiwyg sont caractérisés par le fait que la visualisation qu’ils présentent correspond au rendu que l’on obtiendra sur écran ou sur papier.
[2] La syndication renvoie à l’abonnement à un flux de données permettant d’obtenir régulièrement les mises à jour.
Références
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- ↑ 6,0 et 6,1 Baker, M. (2000). "The roles of models in Artificial Intelligence and Education research : a prospective view." International Journal of Artificial Intelligence in Education 11:122-143
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- ↑ Schmidt, K. et C. Simone (1996). "Coordination mechanisms: Towards a conceptual foundation of CSCW systems design. ." CSCW Journal, 5(2-3): 155-200.
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- ↑ Dourish, P. (1999). Where the action is - The Foundations of Embodied Interaction, MIT Press
- ↑ Grunstein, M. et J. P. Barthès (1996). An Industrial View of the process of Capitalizing Knowledge. Fourth International ISMICK Symposium Proceedings, Rotterdam, Netherlands, ERGON VERLAG.
- ↑ https://fr.wikipedia.org/wiki/Algorithme
- ↑ www.theses.ulaval.ca/2004/22242/ch02.html