Ingénierie des connaissances

De WIKOM

La gestion des connaissances a donné lieu à une longue tradition de création d’artefacts plus ou moins complexes, plus ou moins techniques, et plus ou moins automatisés. Ils avaient pour ambition de supporter capitalisation, représentation, diffusion, et pérennisation d’une représentation des connaissances. Cette tradition trouve, pour partie, ses origines dans le domaine de l’intelligence artificielle , l’archétype étant le développement des systèmes expert (Hatchuel et Weil 1992).

Des systèmes experts à l’orientation dans les supports numériques

Les systèmes experts étaient définis comme visant à « à piéger la connaissances naturelle détenue par des experts humains sous la forme la plus proche de son expression par l’expert ; celle-ci captée, on pourra imiter les raisonnements de certains individus pour résoudre informatiquement certains problèmes » (Hatchuel et Weil 1992). Le point de vue qui prévalait ici était la conception d’un système qui simulerait le « raisonnement de l’expert », la problématique étant de définir le bon niveau d’expression et la forme de représentation adéquate, pour la connaissance. Le bon niveau d’expression et la bonne forme sont en grande partie liés aux possibilités d’un moteur d’inférence : les connaissances modélisées doivent être manipulables par celui-ci. Les limites de ce type d’approche sont aujourd’hui connues notamment parce qu’elles appréhendaint la connaissance comme un objet formalisable dans un cadre théorique et implémentable permettant notamment d’intégrer des mécanismes d’inférence (Simon 1978; Newell 1981). Les systèmes étaient basés sur une logique calculatoire, la limite étant nécessairement que tout résultat quantitatif, aussi pertinent soit il, ne peut faire l’économie d’une interprétation : le résultat d’un calcul renvoie à la démonstration et doit, lors de sa diffusion, faire l’objet d’une explication, c’est à dire une argumentation.

A la suite de ces travaux plutôt centrés sur la résolution automatique de problèmes, on a pu observer une évolution vers des approches majoritairement centrées sur l’assistance utilisateur. Le système expert n’était plus un expert omniscient mais un assistant coopératif « intelligent » (Cawsey 1995). Ce positionnement a notamment guidé les travaux de recherche en explication (Baker 1996; Baker 2000). Le système ne renvoie plus à un résultat mais argumente celui-ci afin de préciser « le pourquoi et le comment » (Cawsey 1994). On ne se situe plus dans la démonstration, mais dans l’argumentation, l’outil de simulation informatique devenant outil d’aide à la résolution de problème. Le résultat n’est plus une vérité instituée, car il n’est plus toujours considéré comme efficace, mais pourra être accompagné de traces d’exécution de l’outil devant expliciter le résultat ou encore de connaissances complémentaires extérieures au système. Le résultat peut être soumis à la négociation sous la forme d’une interaction entre utilisateur et machine (Baker 1994; Baker 2000).

Ceci nous amène à une vue alternative à l’IA telle qu’elle a pu être fondée initialement. Ce positionnement également défendus dans le cadre des conférences Cooperative System Design (COOP) se centrait sur le développement de systèmes permettant une forme de « coopération » entre le système et l’utilisateur. Les approches sont alors d’avantage inspirées du Computer Supported Cooperative Work (CSCW) (Schmidt et Simone 1996; Ackerman 1997; Dourish 1999) et des Sciences de l’Information. Il ne s’agit plus de se focaliser exclusivement sur un niveau d’expression propice à une manipulation par la machine, mais bien de remettre en avant la dimension sociale et la dimension organisationnelle. Ce point de vue privilégie la diffusion, l’appropriation et le partage d’une représentation des connaissances. Les mémoires d’entreprises  constituent un exemple produit avec cette philosophie. Le point de vue est bien celui d’un support à l’activité même si le but des mémoires d’entreprise peut également être présenté comme devant fournir « la bonne connaissance ou information, à la bonne personne, au bon moment et au bon niveau » pour permettre la décision. (Grunstein et Barthès 1996). L’aspect support à la décision apparait ici, de même que la problématique de recherche d’information qui devient de plus en complexe du fait de la profusion des supports numériques.

L’ingénierie des connaissances s’appuie donc à la fois largement sur les techniques d’IA (Boughzala 2001) mais également sur des champs disciplinaires plus proches des sciences humaines et sociales. Elle vient en prolongement de la gestion des connaissances telle que définie précédemment et peut être présentée comme « une manière plus sophistiquée que la transcription des connaissances pour capter une parcelle de connaissances tacites » (Boughzala et Ermine 2003).

Cette « manière plus sophistiquée » correspond à la conception et au développement d’instruments et d’outils pouvant à la fois supporter la gestion des connaissances, mais également faire face à la prolifération et à l’expansion de plus en plus grande de l’information numérique. En ce sens, l’Ingénierie des Connaissances doit « faciliter l’explicitation de connaissances tacites possédées par des informateurs particuliers, les experts, ou déposées dans des supports informationnels de manière implicite, des textes ou des bases de données de divers formats » (Zacklad 2000). Cette définition intègre non seulement la dimension humaine de la gestion des connaissances relative au fait que les connaissances sont dispersées au travers d’individus ; la psychologie, l’ergonomie, la sociologie ou encore l’IA ont largement étudié cet aspect pour tenter d’acquérir, de capitaliser, une représentation de ces connaissances dispersées (Charlet 2003). Elle intègre également la dimension technique de la gestion des connaissances et l’enjeu crucial des supports informationnels, qu’ils soient papier ou numérique, dont le volume est en constante croissance.

Ainsi, l’objectif de l’ingénierie des connaissances est «  de concevoir des instruments et outils de la connaissance s’intégrant au travail intellectuel, qu’il soit individuel ou collectif, cognitif ou social » (Bachimont 2004). Bachimont pose d’emblée que « le problème posé par une telle discipline est la diversité des savoirs qu’elle doit mobiliser, et l’étendue de ses objets d’étude: toute l’activité humaine est en effet potentiellement concernée par un tel programme » (Bachimont 2004). Le champ d’exploration est donc immense, aussi nous nous focaliserons sur un aspect : l’étude portée dans ce rapport s’intéresse en particulier aux informations numériques pouvant être valorisées ou résultant des activités de gestion des connaissances. Il s’agit tout aussi bien de s’attarder sur les modalités de création de ces ressources informationnelles que sur la valorisation de l’existant. Au-delà, de nombreux fonds documentaires non numérisés, ou dont la numérisation se limite à un plan de classification et à une description des documents selon des attributs standards, les ressources numériques sont extrêmement importantes en volume. Dans la section suivante, nous proposons de nous attarder sur ces supports numériques.